DU REVENU GARANTI COMME AUTO-RÉGULATION DU CAPITAL ET GESTION DES CONTRADICTIONS DE CLASSES.
Un des particularismes actuels du capitalisme est que ses profits sont essentiellement spéculatifs. Ce n'est pas un problème en soi pour le capital : tant que ses profits sčengrangent, il ne voit pas plus loin. Mais la dernière crise boursière asiatique démontre que ce nčest pas sans danger. Et quand Nike déclare que les coûts de production des quatre dragons sont déjà trop élevés, on se demande jusqu'où tout cela peut aller. La crise actuelle du capital est liée sa restructuration. L'enjeu est de de réussir cette dernière sans créer une instabilité menaçante pour la survie du capitalisme. Pour l'instant la coercition et l'apathie l'ont soutenu, mais il saura en temps voulu utiliser des moyens plus fins. Une chose est sûre : le rôle de l'État comme instrument régalien et essentiellement de maintien de la paix sociale a aujourd'hui toute son acuité.
Au début du capitalisme, lčÉtat a en charge
dčétendre les infrastructures dont a besoin le
développement du capital. Une de ses contradictions d'alors
est de ne pas pouvoir -sauf dans certains cas- prendre en charge ces
investissements primaires. Notamment parce que le marché dont
il a besoin n'existe pas encore complètement. Tous les
développements économiques et techniques seront donc
à cette époque liés aux besoins du capital.
N'oublions pas que l'État est complètement lié
à la bourgeoisie, la position et l'évolution de
l'État comme du capital sont donc aussi de la même
classe. A cette époque l'État est là pour
asseoir la mise en place du capitalisme, la constitution d'une classe
homogène et la partition de la société.
Après la crise de 29, le capitalisme se laisse influencer par
les thèses keynésiennes et la montée de
l'Etat-Providence. Outre toujours la tâche régalienne du
maintien de la paix sociale, l'État devient un moteur du
capitalisme comme régulateur du marché et de ses
contradictions. Après l'intermède des guerres
impérialistes de 1939-45, cet Etat-Providence se renforce.
Cčest la fameuse période des « trente glorieuses ».
Le capitalisme est florissant, la propagande est à
l'avènement d'une société de la « classe
moyenne » où tout le monde y serait beau, où les
rapports de classe ne seraient plus conflictuels puisque
régnerait la classe moyenne, où chacun aurait sa
chance... Mais malgré ça, les conflits de classe
s'exacerbaient, les niveaux de vie des pauvres et des riches
augmentaient, mais celui des riches plus et plus vite que les autres.
L'explosion mondiale de 68 -bien que masqué par le spectacle
de la révolte étudiante- en est un signe. Puis vint la
mauvaise blague de la « crise ». Ce qu'il est important de
dire c'est que ce phénomène n'est en rien une
fatalité ou la faute à pas de chance. La période
de crise commencée au début des années 70
correspond à une période de restructuration du capital.
En fait, le capitalisme change régulièrement de forme
(c'est une des explications des cycles de Kondratieff,
cčest-à-dire les périodes de
récessions/croissances qui se suivent au cours de l'histoire
du capitalisme). Le fond reste bien ancré, mais là
l'organisation et la forme structurelle ont évolué
depuis 30, 60 ou 100 ans. Nous sommes donc dans cette période
où le capitalisme fait peau neuve. Ce qui l'amène
à de nouvelles contradictions, à rendre caduques
certaines formes de travail, certains besoins... Mais tout cela ne le
remet pas en cause, le chaos perpétuel de la vie du capital
est même une de ses forces. Une des caractéristiques
actuelles est de ne pas avoir besoin d'une grande masse de travail
pour augmenter la productivité et la plus-value. Tout du moins
dans les pays riches de lčOCDE. Après l'hypertrophie du
tertiaire, nous sommes passés dans une économie du
quaternaire - cčest-à-dire le travail à forte valeur en
savoir (haute technologie, Recherche & Développement...).
Ce qui pose le problème, d'un point de vue social mais pas
pour le capital, de la mise sur la touche dčune grande partie de la
population. Population qučil va falloir continuer à
contrôler. Aujourd'hui, dans les perspectives de son
développement, deux questions se posent au capitalisme.
Comment va s'autoréguler le marché? Et quelle forme
doit prendre le contrôle social? Bien sûr, des
réponses sont déjà données chaque jour
par l'existence de lčéconomie et de cette
société. Le marché tourne et le contrôle
social nous le subissons tous et toutes. Mais les réponses ne
sont jamais définitives et la réorganisation du capital
entamée à la fin des trente glorieuses n'est pas encore
achevée. Le marché trouve son équilibre au sein
des pressions extérieures, des évolutions; en ce sens
il s'autorégule. Même si la période de
lčEtat-Providence est derrière nous, le rôle de
lčÉtat et des institutions dans le fonctionnement de
lčéconomie n'est pas négligeable. Les
théoriciens du capitalisme Ðautrement appelés
néo-classiques Ð avancent 5 hypothèses qui doivent
poser le cadre de la vie et du développement du capital. Ces
hypothèses sont celles de la concurrence pure et parfaite.
Cčest celle de la mobilité (une entreprise peut passer dčune
production à une autre, donc pas de barrière entre les
marchés), celle de la flexibilité des prix (donc pas de
SMIC), celle de l'atomicité (c'est-à-dire pas de
monopole, le prix n'est qučun paramètre qui se fixe par la
confrontation de l'offre et de la demande), celle de l'unicité
du prix, celle de la libre circulation de lčinformation et on
pourrait rejouter celle de lčhomogénéité
(produits sur un marché identiques entre eux, donc pas de
marketing et instantanéité de l'échange). Pas la
peine d'aller plus loin pour dire que toutes ces hypothèses ne
sont pas respectées. Et pourtant le capitalisme existe bien.
C'est une de ses contradictions qu'il gère très bien.
Les néo-classiques sont les têtes pensantes de
lčéconomie libérale, ce n'est pas un hasard si les
plans structurels du FMI sont tablés sur leur théorie.
Le capitalisme sčaccommode de beaucoup de choses (les bolcheviks en
Russie, par exemple, n'ont en fait pas entravé son
développement). Il a une capacité d'intégration
même de ce qui est le plus subversif. Nous voyons bien que ce
qui peut être considéré comme ses lois,
même si elles ne sont pas respectées, ne lčempêche
pas de se développer. Si les 5 hypothèses
néo-classiques étaient appliquées, ce serait un
désastre social et donc un facteur d'instabilité. Le
capitalisme à cette fonction de s'adapter aux conditions
extérieures, mais aussi d'influer sur ces conditions. Ce qui
est important pour la survie du capital c'est la paix sociale. C'est
une des tâches majeures du rôle régalien de
l'État. Le revenu garanti peut être un facteur de
régulation du capital dans le sens où il peut
stabiliser la situation sociale. On le voit la canalisation des
populations est un enjeu de survie pour le capital. Que ce soit en
construisant des prisons, ou, comme dans les mégapoles
américaines, en élevant des passerelles pour que les
yuppies n'aient pas à marcher dans la rue. Le revenu est
sûrement un moyen plus sûr de contrôle social. Un
des rôles du travail a été de maintenir la
population dans la soumission et la crainte. Puisque les conditions
économiques ne permettent plus de mettre tout le monde au
travail, il va bien falloir trouver autre chose. Loin d'abolir ou de
remettre en cause le salariat, le revenu garanti le renforce. Seul
lčEtat est en mesure de l'attribuer. Et cela pose le problème
du rapport à l'Etat qui est avant tout un rapport individuel,
alors que le rôle de l'Etat fait partie d'un rouage plus large.
Cčest-à-dire que l'Etat sert avant tout des
intérêts de classe, opposés à ceux et
celles qui subissent. Rester dans un rapport individuel c'est nier ce
rapport et donc ne jamais pouvoir le dépasser. L'obtention
d'un salaire social ne se fera alors jamais sans contrepartie. En
plus de la menace que pourra faire peser l'État, ils nous
feront aussi le coup des activités socialement utiles; et il
sera difficile d'y échapper... Outre que le revenu peut
être la solution pour maintenir le contrôle et la paix
sociale, il permet aussi au capital de dépasser ses
contradictions actuelles. Notamment de gérer la
restructuration du travail. L'économiste Yann Moulier Boutang,
défenseur du revenu, le présente comme « un filet
de protection » permettant le développement de
l'économie libérale. Il va même l'introduire
comme un élément de relance économique et finit
par affirmer que « le revenu garanti est un facteur de
création d'emplois normaux. ». Pour aller plus loin dans
l'intégration du revenu au fonctionnement du capitalisme, Yann
Moulier Boutang, toujours dans son texte un nouveau New-Deal est en
marche paru dans l'insipide journal Occupation, nous démontre
que le revenu s'adapte au nouveau salariat qui est « une
économie du travail intermittent, d'un travail
omniprésent...» On voit que le revenu garanti n'est pas
porteur d'émancipation sociale. A peine une réponse
dčurgence que nous pouvons laisser aux gestionnaires. Il est clair
qu'en tant que classe nous devons nous battre sur des luttes
concrètes comme les coupures EDF, les ouvertures de squatt...
même si ce n'est pas la panacée face à la force
du capital. Mais nous n'avons rien à revendiquer puisque
l'enjeu n'est rien d'autre que la réappropriation de nos vies.
Nous avons juste à arracher ce dont nous avons besoin, et
c'est dans ces moments que par la dynamique de la lutte s'ouvrent
alors les perspectives de se débarrasser du poids des rapports
marchands, du productivisme, de la maximisation de chaque seconde...
C'est là que se tisse l'entraide, qu'enfin tout appartient
à tous, que les échanges se font sur les besoins
communs... et tout ce qu'on aura à imaginer.
Tranquillou
le 11/03/98